Le gardien de la source
Publié le 16 Décembre 2016
Le gardien de la source de Vanessa Terral
Editions Pygmalion
387 pages
Résumé :
« Puis elle le vit. L’individu qui l’observait se tenait en retrait, à l’opposé de la pièce. Il ne cherchait pas à se fondre dans l’assemblée des gens bien nés. D’ailleurs, ceux-ci l’évitaient. C’était presque imperceptible, mais le flot des civilités s’écartait de lui dans une valse consommée. »
En cet été 1814, Marie-Constance de Varages, marquise du bourg d’Allemagne, et son héritière, Anne-Hélène, sont conviées au bal du comte de Forcalquier. Si une telle invitation ne se refuse pas, la marquise est inquiète. Quelques mois auparavant, sa fille a souffert d’un mal funeste et été sauvée in extremis. Depuis, elle n’est plus tout à fait la même…
Quelle est donc cette ombre qui plane sur Anne-Hélène ? Et pourquoi le mystérieux Lazare, baron d’Oppedette, semble-t-il soudain subjugué par la jeune débutante ?
Ma rencontre avec ce livre et pourquoi ce choix :
Un jour que je faisais le tour des promos ebook, ma soif n’ayant pas été étanchée par la petite OP de Bragelonne, j’ai aperçu ce livre. La couverture attire l’œil et est franchement réussie, je dois avouer, que je me laisserais bien tenter par la version papier.
Le résumé était intriguant mais sans plus, selon moi. J’hésitais. Ce fut la chronique de Mycoton qui m’incita à me lancer, notamment parce qu’elle révèle que le livre est une réécriture du mythe d’Hadès et Perséphone, ce n’est pas spoiler, c’est dit dès les premières pages du livre.
Le mythe d’Hadès et Perséphone est un de mes préférés.
Petit rappel pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est mon résumé à moi, désolée s’il n’est pas tout à fait exact, mais ce sont les grandes lignes :
Hadès est le Dieu des enfers, un jour, en se promenant sur terre, il aperçoit Perséphone et en tombe amoureux. Il la ramène alors chez lui aux enfers. Mais Déméter la mère de Perséphone est la déesse (ou la nymphe) de la nature, le départ de sa fille la rend triste, et donc, elle laisse un hiver permanent.
Or Perséphone est tombée amoureuse d’Hadès et elle vient voir sa mère pour le lui annoncer.
Finalement, elles conviennent sous la direction de Zeus que Perséphone passera 6 mois avec sa mère et 6 mois avec Hadès aux enfers, et c'est pour ça qu'il y a 4 saisons, quand Perséphone est avec sa mère c'est le printemps et l'été, et quand elle est avec Hadès: automne et hiver.
Mon avis :
Je disais donc que le mythe d’Hadès est un de mes préférés car la solitude d’Hadès me touche. Hadès est le dieu des enfers, il doit se sentir infiniment seul et triste. Cela le rend vulnérable et au fond très humain.
Anne-Hélène voit tout de suite la solitude de Lazare et même sa tristesse. Est-ce dû à l’étrange maladie qu’elle a contracté quelques temps plus tôt ? Lazare est très secret et du coup irrémédiablement fascinant.
L’auteure a une plume véritablement magnifique, poétique voire musicale, le vocabulaire est élaboré et soigné.
Le texte est d’une douce musicalité, plein de métaphores poétiques et de délicieux oxymores, il se lit comme une partition. Le lecteur attentif entendra chanter la Source pendant sa lecture.
J’ai été soufflée par la qualité du texte.
Lazare m’a tout de suite plu et plus on apprend à le connaitre, plus il est facile de l’aimer, sa maladresse envers Anne-Hélène, ses sentiments pour elle qu’il n’arrive pas à montrer, la façon dont il protège ses gens, le rendent terriblement touchant et attachant.
Anne-Hélène est plus difficile à cerner mais sa proximité avec Lazare la rend plus sensible et plus attachante.
J’ai cherché les références au mythe original durant tout le texte, n’étant pas particulièrement versée en mythologie grecque, j’en ai repéré quelques-unes, mais j’en ai sûrement loupé d’autres.
J’ai par exemple remarqué :
-Les 3 frères : l’un règne sur un immense et beau domaine comme Zeus, l’autre sur une terre plus modeste, entourée d’ombres tel Hadès et le dernier, comme Poséidon ne veut pas quitter la mer.
-Marie-Constance, la mère d’Anne-Hélène, comme Déméter, est très versée en botanique et conseille ses gens sur les cultures.
- Le nom du chien : Cerbère
J’ai regretté que les moments où Lazare et Anne-Hélène sont ensemble soient finalement peu nombreux, mais cela ne donne que plus d’intensité à leurs rencontres et à leurs sentiments. L’auteure m’a fait ressentir toute la solitude de Lazare et son envie, son besoin même, de compagnie et tout l’amour qu’il porte à Anne-Hélène.
De même, j’ai beaucoup aimé l’attitude d’Anne-Hélène revendiquant clairement sa relation avec Lazare face à sa mère, de manière très protectrice .
Marie-Constance m’a semblé étouffante la plupart le temps, c’est une mère un peu envahissante, mais touchante parfois.
Le medecin et ami de Lazare apporte une bouffé d’humour dans le récit, il tient beaucoup à Lazare et le montre clairement.
Le texte a aussi un côté gothique mélangé avec le folklore provençal, dont certains dialogues aux accents chantants. On entend le chant des cigales, et le soleil provençal nous réchauffe. L’auteure a donné un côté historique à son récit en respectant les aspects, la mode, la fameuse année sans été qui trouve sa place merveilleusement dans cette intrigue.
C’est une magnifique histoire d’amour sensuelle, telle une danse langoureuse, une superbe réécriture du mythe d’Hadès et Perséphone.
En bref : je pense que vous l’aurez compris, c’est un énorme, méga coup de cœur.
Extrait :
Un bruit rompit le fil de sa mémoire : des pieds faisaient crisser le gravier. Il fit volte-face, surpris. A six pas de lui, se tenait Anne-Hélène, une lanterne à la main.
Le saisissement ne l’empêcha pas de se reprendre. Comme s’il endossait un uniforme, son dos redevint droit, ses épaules se redressèrent. Il sentit son visage se fermer, qui suivait par instant les transformations de son attitude. Il se maudit in petto. Plaire lui était moins naturel que dissimuler, alors que Jean-Pietro possédait les dispositions inverses. Ce n’était pas ainsi qu’il allait lui extirper son secret.
_ Mademoiselle…
Sa voix était profonde et chaude – le genre de ton qu’il prenait avant d’infliger un coup mortel. Peut-être que la douleur était moins vive, enrobée dans le miel de son timbre ? Il fermait toujours les paupières de ses victimes, les rares fois où le recours à l’arme blanche avait été nécessaire.
Anne-Hélène cligna plusieurs fois des yeux. Elle semblait s’éveiller d’une errance somnambule.
_ J’ai vu quelqu’un de seul et de triste. Je me suis dit que je pourrais l’aider.
Elle ne semblait pas bien certaine de ce qu’elle avançait. Toutefois, ces mots giflèrent le baron. Lui, triste ?
Ses mains la saisirent et l’attirèrent contre lui. Elle allait hurler, la foule arriverait en courant et l’apercevrait dans les bras de l’homme le moins recommandable de toute l’assemblée.
Sa présence à ses côtés, dans un endroit éloigné et sombre, ferait jaser pendant quelques semaines.
Mais elle ne cria pas. Elle se contentait de le fixer, les sourcils froncés et dans l’expectative. Etait-elle benoîte à ce point ?
_ Monsieur, je ne parlais pas de cette compagnie-là.
Les paroles le frappèrent de nouveau.